La prise en charge des élèves en situation de handicap au Cameroun

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Interview de Eyi-Francine Angue, Directrice de ESEDA (École Spécialisée pour Enfants Déficients Auditifs), école créée en 1972 qui accueille aujourd’hui 200 élèves de 3 à 8 ans. Un Institut de formation pour les enseignant.e.s est rattaché à cet établissement.

Au Cameroun, le droit à l’éducation et à la formation des personnes en situation de handicap est garantit par la loi. Comment est prise en compte l’inclusion des élèves en situation de handicap ?

Comment a l’ESEDA a-t-elle vu le jour ?

L’ESEDA a été créée en 1972 par une religieuse française, Hélène Ressicaud qui a aussi fondé l’Ecole de la Santé et l’Université Catholique d’Afrique Centrale à Yaoundé.

À sa création, l’école accueillait des enfants avec tout type de handicap : moteurs, visuels, cérébraux. L’État a ensuite ouvert une école prenant en charge les enfants ayant un handicap moteur et ceux ayant une infirmité motrice cérébrale. Les enfants sourds n’avaient pas d’alternative. Hélène Ressicaud a donc fondé cette école qui accueillait à son ouverture 8 enfants sourds ou malentendants. Au fil des années, l’école s’est agrandie et jusqu’à 300 enfants ont été scolarisés en même temps. En 2015, nous avons commencé à former les enseignant.e.s qui ont à leur tour formé d’autres enseignants.

Comment sont considérées les situations de handicap au Cameroun ? Existe-t-il des mesures d’inclusion à destination des personnes concernées ?

Au Cameroun, il y a une bonne connaissance du handicap, à travers la sensibilisation, l’éducation et l’inclusion. Depuis plusieurs années, en particulier, depuis 2015, des politiques d’inclusion volontaristes ont fait en sorte que le handicap soit porté à l’attention de la population. On parle du handicap un peu partout désormais, dans les médias, à l’école. L’approche par le handicap est prise en compte, y compris dans les ministères. Cela n’a pas toujours été ainsi. Avant, le handicap était considéré comme une maladie, comme de la sorcellerie. Aujourd’hui, la société camerounaise a un regard beaucoup plus scientifique. La population a compris que le handicap peut au départ venir d’une anomalie, mais que ce n’est pas une tare, ni une fatalité. Un enfant porteur de handicap, bien accompagné, peut être autonome. 

Les parents d’enfants en situation de handicap prennent confiance quand ils voient des personnes ayant un handicap devenir des personnalités publiques reconnues, dans le milieu artistique et culturel notamment. Ces personnes devenues des icônes contribuent à faire évoluer les mentalités.

Comment les associations militent-elles pour la prise en compte des situations de handicap ?

Il existe en effet beaucoup d’associations au Cameroun qui informent et sensibilisent le grand public sur le handicap.  Ces associations passent par les réseaux sociaux, la télévision, elles sont présentes lors de grands événements publics. Il est important de mettre en avant leur travail énorme auprès de la société et des institutions pour que le handicap soit reconnu et pris en compte.

Qu’est-ce qui motive les familles à inscrire leur enfant à l’ESEDA ?

Malgré nos actions pour informer et sensibiliser, des parents continuent de refuser d’inscrire à l’école leur enfant ayant un handicap. Il faut discuter avec ces parents, les encourager à croire en leur enfant, car ils ont peur pour l’avenir de leur enfant, il faut donc les accompagner. Lorsque les familles frappent à notre porte, elles sont démoralisées, l’ESEDA est leur dernier recours. Ce qui les motive à inscrire leur enfant dans notre établissement, c’est la sensibilisation par l’exemple, c’est-à-dire, rencontrer un jeune qui est arrivé à l’école en maternelle, qui a grandi et qui a réussi à se développer, à se construire. Quand les parents voient que l’accompagnement de l’ESEDA a bien fonctionné avec d’autres enfants, ils reprennent confiance et se disent que leur enfant aussi peut y arriver. 

Les écoles sont-elles en capacité d’accueillir des enfants en situation de handicap ?

Bien qu’en théorie, les écoles doivent accueillir les enfants porteurs de handicap, les enseignant.e.s ne sont pas suffisamment formé.e.s. Ces enfants sont donc mal suivis. Dans une classe d’une école publique accueillant 40 enfants, si un enfant en situation de handicap arrive, comment voulez-vous que l’enseignant puisse prendre en compte ses besoins particuliers sans délaisser les autres élèves ?

Comment fonctionnent les écoles inclusives au Cameroun ?

Il existe au Cameroun 68 écoles publiques inclusives qui sont en capacité d’accueillir des enfants en situation de handicap, réparties dans les 10 régions du pays. Parmi elles, il y a des écoles pilotes qui expérimentent l’éducation inclusive et dans lesquelles du matériel spécifique est fourni pour accueillir les enfants. Par exemple, s’il n’y a pas de rampe d’accès, ou que l’école manque d’outils pédagogiques adaptés, du matériel est fabriqué localement pour y remédier. Ainsi, les écoles publiques peuvent accueillir les enfants dans de bonnes conditions.

Comment sont formé.e.s les enseignant.e.s de l’école ?

Les enseignant.e.s qui travaillent à l’ESEDA sont des fonctionnaires qui ont été formé.e.s il y a une dizaine d’années. Les nouveaux enseignant.e.s, contractuel.le.s, arrivé.e.s depuis, n’ont pas été formé.e.s. La formation spécialisée sur le handicap dure 1 an. Après cette spécialisation, les enseignant.e.s peuvent prendre en charge des enfants en situation de handicap dans une école.

Quel est le cursus proposé à l’ESEDA ?

L’enseignement dure 8 ans, il débute en maternelle (3 ans) jusqu’au CM2. Ensuite, l’enfant poursuit ses études au collège. L’ESEDA continue de soutenir les enfants même au collège, car l’inclusion n’est pas encore acquise dans les établissements. Cet accompagnement se poursuit jusqu’à l’obtention du diplôme secondaire pour la filière professionnelle ou du Baccalauréat pour la filière générale. C’est encore difficile pour les personnes porteuses de handicap d’avoir des responsabilités professionnelles, mais les esprits sont en train de changer et les choses évoluent. 

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